mercredi 14 mars 2012

L’exploitation minière de l’or et les droits de l’Homme au Mali


Introduction
Depuis 1990, l’extraction d’or est devenue une activité économique majeure du Mali, et la deuxième
source de revenus d’exportation après le coton. Cette rapide croissance a suscité de nombreux espoirs de
développement, espoirs encore renforcés par le boom du cours de l’or sur les marchés mondiaux depuis
quelques années.
Activité économique à fort potentiel, l’exploitation de l’or pourrait en effet contribuer à l’amélioration
de la situation des droits de l’Homme en créant de l’emploi dans le secteur minier et en ayant un effet
d’entraînement sur d’autres secteurs de l’économie. Elle devrait également améliorer les ressources de
l’Etat, et donc sa capacité à assumer des dépenses utiles pour la société (éducation, santé, infrastructures,
etc.). Enfin, l’implantation d’une industrie extractive s’accompagne souvent de programmes de
développement locaux destinés à atténuer ou compenser les effets, notamment environnementaux, de
l’activité minière.
Pourtant, sur tous ces aspects, la contribution du secteur minier au développement malien est très faible,
voire négative. Le Mali reste pauvre, très pauvre, presque le plus pauvre : il se situe au 175ème rang sur
177 Etats en terme de développement humain. Troisième producteur d’or du continent, il a un PNB par
habitant de 380 dollars contre 745 en moyenne pour l’Afrique subsaharienne.
Derrière ces données
économiques, une réalité sociale faite de violations quotidiennes de nombreux droits humains essentiels,
notamment à dimension économique et sociale : près d’un tiers de la population ne mange pas à sa faim,
moins d’une personne sur deux a accès à l’eau potable, seule une personne sur cinq est alphabétisée, plus
d’un nouveauné
sur dix meurt avant l’âge d’un an et l’espérance de vie est de 48 ans.
Comment expliquer que l'or malien profite aussi peu à la population ? D’abord par la position de force
des entreprises, qui parviennent à gagner sur tous les tableaux : elles mettent sur le devant de la scène
leurs actions volontaires en faveur des communautés locales, menées au titre de leur « responsabilité
sociale et environnementale » (RSE), alors même que ces programmes n’ont que des résultats limités et
parfois pervers ; dans le même temps, elles obtiennent en coulisses des exemptions fiscales et sociales
leur permettant de tirer le meilleur profit de leur activité, et vont parfois jusqu'à commettre des violations
des réglementations existantes lorsque cellesci
leur paraissent trop contraignantes.
Un autre facteur d’explication est à chercher dans le fonctionnement même du secteur aurifère malien,
qui a peu d’effet d’entraînement sur le reste de l’économie. Ce secteur est en effet largement coupé des
autres secteurs économiques et complètement tourné vers l’exportation. A côté de la monoculture du
coton, le Mali a ainsi développé une « monoculture de l’or », autre ressource primaire destinée à être
transformée et commercialisée à l’étranger. Ce qui est en cause ici, c'est le modèle de développement
économique mis en oeuvre par les gouvernements successifs, sous l’influence des institutions financières
internationales.
Enfin, cette situation tient à la position de faiblesse et à l’ambivalence de l’Etat, qui a pourtant la
responsabilité première des orientations données au développement national et de la réalisation des
droits économiques et sociaux de la population. Alors même qu’il est doté de peu de moyens et qu’il
connaît une corruption endémique, l’Etat malien voit son rôle affaibli par le fonctionnement du secteur
minier, dans lequel il est passé du rôle de propriétaire à celui, schizophrénique, de régulateur et
percepteur d’une part, et d’actionnaire d’autre part. Faute de le pouvoir ou de le vouloir, l’Etat ne remplit
donc pas son rôle de régulation et de contrôle de l’activité des entreprises, ni de répartition des revenus
nationaux au bénéfice de la population.
1. Les entreprises : plus sur le volontaire, moins sur les obligations légales
Les entreprises multinationales sont au coeur du processus de mondialisation et de ses
dysfonctionnements. En raison de leur pouvoir économique, voire politique, leurs actions ont un impact
important sur le respect des droits de la personne. C'est particulièrement vrai des entreprises extractives.
La Banque mondiale présente ce secteur économique comme une opportunité de développement majeur
pour les pays en développement. Pourtant, les pays les plus riches en minerai sont aussi les plus instables
politiquement, victimes de violence internes et externes. Même lorsque l’industrie extractive n’appuie
pas les milices ou n’alimente pas de conflit, les populations locales bénéficient rarement de l’extraction
minière et en pâtissent le plus souvent du fait des dégradations environnementales induites par cette
activité.
Face à ce constat, une large réflexion a été entamée au niveau international pour inciter ces entreprises à
respecter les obligations internationales en matière de droits de l’Homme. Cellesci
se sont également
engagées dans un ensemble d’initiatives volontaires, tant sous forme de codes de conduite que de projets
en faveur des communautés locales. Le cas de l’extraction aurifère au Mali montre cependant bien
comment les grandes entreprises, tout en mettant en avant des initiatives locales volontaires, et en
bénéficiant de larges exonérations, parviennent à se dédouaner d'une partie de leurs obligations légales et
de leurs responsabilités sociales.
1.1. Une stratégie d’achat de la « paix sociale »
Les programmes de développement locaux…
Les deux principales mines d’or du Mali, celle opérée par la SEMOS à Sadiola et celle opérée par
Morila SA sur le site de Morila, ont mis en place des programmes de développement communautaire
dont l’objectif est d’appuyer le développement local de la zone où est implantée la mine.
Prenons l’exemple de la première: Morila SA a mis sur pied un fonds de développement communautaire
couvrant 4 communes, d'un budget annuel de US$ 250 000 et dont 60% est destiné au maire de Sanso
pour le développement communal des quatre villages, le reste étant distribué entre le cercle de
Bougouni et la préfecture de Sikasso. Selon les rapports de l’entreprise, ce fonds a financé la
construction de plusieurs classes ou écoles, le recrutement de 10 enseignants, l’électrification d’un
centre de santé, la construction d’une maternité et la construction de deux mosquées. Il finance
également une partie des salaires et infrastructures de la gendarmerie de Sanso, ville la plus proche de la
mine.
… et leurs insuffisances
Ces fonds, destinés à atténuer l’impact négatif de l’activité minière voire à contribuer à l’amélioration
des conditions de vie des populations locales, ont pourtant bien souvent un impact limité et parfois
même des effets pervers. Leur contribution à la réalisation des droits humains est donc ambiguë.
D’abord, parce que ces fonds sont souvent affectés par l’entreprise de façon discrétionnaire. Ainsi, bien
que ce fonds ait été créé en 2000, son existence était inconnue des responsables locaux jusqu’à l’arrivée
du nouveau directeur de Morila SA fin 2005. De même, la décision de construire les mosquées a été
prise à une époque où le processus de consultation était peu transparent et n’intégrait pas la voix des
différents groupes de la population (élus, jeunes, femmes, etc.). Dans tous les cas, l’entreprise décide en
dernier ressort des projets qui seront financés selon sa propre évaluation des priorités et de ce qui
constitue un « développement durable ».
En comparaison avec le chiffres d'affaire globale de l'entreprise, les sommes allouées au développement
local restent minces et les projets financés limités par le manque de moyens de l'État. Ainsi, dans les
infrastructures scolaires nouvellement construites, les classes accueillent chacune plus de 100 élèves par
classe, comme cela est la norme dans le reste du Mali. De telles conditions ne permettent pas de
satisfaire le droit à l’éducation de ces enfants.
Autre problème lié à ce type de projet de développement local : les entreprises prennent souvent en
charge le financement, sinon la réalisation, de services d’intérêts généraux, en principe directement
fournis ou encadrés par l’Etat. Quel est le droit de regard et le contrôle exercé par l’Etat sur les
qualifications des enseignants recrutés, sur le programme enseigné aux élèves ? Quelles sont les
garanties de respect du droit à la sécurité et de l’indépendance des forces de police, dès lors que la
gendarmerie locale est financée par l’entreprise privée occupant le site ?
Enfin, il est important de souligner que les projets financés se situent immanquablement dans le court
terme, la durée d’exploitation des mines étant souvent limitée à une ou deux décennies. Dans le cas de
Morila, l’exploitation devrait durer une quinzaine d'année et prendre fin en 2015; le retrait de la mine
laissera à nouveau la région à ellemême.
Les projets des entreprises minières ne s'inscrivent en effet pas
dans un plan étatique de développement durable sur le long terme.
1.2 Des obligations insuffisamment respectées
Les Etats sont les premiers garants des droits de l'Homme sur leur territoire. Ils sont non seulement tenus
de respecter, mais également de protéger les droits de l’Homme de toute personne se trouvant sous leur
juridiction. Ainsi, ils doivent notamment garantir le droit à l’égalité et à la nondiscrimination
; le droit à
la sécurité de la personne ; le droit d’association et de négociation collective des travailleurs ; la liberté
d’expression. Et ils doivent garantir le droit à une alimentation suffisante, le droit à un logement adéquat,
et le droit à l’éducation. A côté de sa réglementation nationale, l'Etat malien a ratifié un ensemble
d'instruments internationaux qui protègent ces droits tels que les Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et le Pacte relatif aux droits civils et politiques en 1974; les
conventions 87 et 98 de l'Organisation internationale du travail sur la liberté d'association et le droit
d'organisation collective en 1960; ou la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples en 1980.
Même lorsque l’Etat sur le territoire duquel opèrent des entreprises transnationales ne prend pas toutes
les mesures propres à garantir ces droits, les entreprises doivent s’abstenir de bénéficier de ces
manquements : selon les Principes directeurs de l’OCDE à l’égard des multinationales, elles doivent
‘respecter les droits de l'Homme des personnes affectées par leurs activités, en conformité avec les
obligations et les engagements internationaux du gouvernement du pays d’accueil’.1 La sousCommission
des Nations Unies pour la promotion et la protection des droits de l’Homme a adopté, en
2003, des Normes sur la responsabilité des sociétés transnationales et autres entreprises en matière de
droits de l’Homme2. Ces normes constituent une interprétation autorisée des obligations des entreprises
en matière de droits de l’Homme, définies sur la base du droit international des droits de l’Homme
existant. Ce texte énonce que ‘dans leurs domaines d’activité et leurs sphères d’influence propres, les
sociétés transnationales et autres entreprises sont elles aussi tenues de promouvoir, respecter, faire
respecter et protéger les droits de l’homme reconnus tant en droit international qu’en droit interne, y
compris les droits et intérêts des populations autochtones et autres groupes vulnérables, et de veiller à
leur réalisation’ (principe 1er).
Au niveau national, l’ensemble des législations existantes s’appliquent en principe aux entreprises
(droits du travail, droit à la sécurité physique des personnes, réglementation anticorruption,
etc.) même
si, comme nous le verrons cidessous,
cellesci
négocient des exemptions sociales et fiscales
importantes. Les entreprises extractives ont également des droits et obligations spécifiques au titre du
code minier qui réglemente les conditions d’installation, d’exploitation et de fermeture des mines, ainsi
que les conditions de travail des employés de la mine et le rôle de l’Etat.
Dans quelle mesure les entreprises du secteur minier remplissentelles
ces obligations nationales et
internationales de respecter, protéger et promouvoir les droits humains ? Prenons quelques exemples.
Droits du travail
Au Mali, les employés des mines sont pour la plupart des ouvriers qualifiés spécialisés bénéficiant, dans
les principaux sites, de bonnes conditions de sécurité et de rémunération. Pourtant, les droits des
travailleurs continuent de souffrir certaines violations : restrictions imposées au droit d’association,
accès insuffisant à des infrastructures et un personnel de santé qualifié sur la mine, non paiement des
primes de rendement, etc. (cf. partie 3.).
En ce qui concerne les conditions de vie des travailleurs, le Code minier malien contient des dispositions
précises protégeant les droits des travailleurs. Il impose ainsi aux entreprises d’assurer le logement des
travailleurs « dans les conditions d’hygiène et de salubrité prévues par la loi » (article 125) et de
contribuer à l’amélioration des infrastructures sanitaires et scolaires « correspondant aux besoins
normaux des travailleurs et de leurs familles » et « à l’organisation sur le plan local d’installations de
loisirs pour leur personnel et leurs familles » (id. et article 24 de la Convention collective du secteur
minier). Ces dispositions sont, on l’a vu, partiellement réalisées par les fonds de développement local
des entreprises; quoique obligatoires, elles sont souvent présentées comme des initiatives volontaires
menées au titre de la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise.
Droit à la santé
L’accès aux centres de soin est de fait réservé aux employés de la mine et à leur famille. Plusieurs
employés, renvoyés suite à des accidents de travail invalidants n’ont ainsi pas pu profiter des soins
nécessaires faute de pouvoir les payer. Au Mali, seuls les salariés bénéficient en effet d'une couverture
sociale. Ce type de pratique va non seulement à l’encontre des droits des travailleurs, mais aussi du droit
à un bon état de santé de chacun.
1 Chap. II (Principes généraux), para. 2, des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.
2 U.N. Doc. E/CN.4/Sub.2/2003/38/Rev.2 (2003).
Par ailleurs, l’implantation des mines s’est accompagnée d’un fort développement du VIH/Sida dans les
régions concernées en raison du développement de la prostitution autour des sites. Dans le cas de
Morila, la seule mesure prise par l'entreprise a été d'aborder cette problématique par l'installation de
pancartes incitant les employés à prendre des mesures préventives face au développement de l'épidémie.
Protection de l’environnement
Outre les obligations liées au respect du droit à la santé des personnes que leurs activités affectent, les
entreprises sont tenues de respecter les dispositions du code minier relatives à l’environnement. Selon le
code minier de 1999, les entreprises doivent présenter une évaluation d’impact environnemental ;
réaliser une étude sur l’état environnemental du site avant installation ; fournir des rapports annuels sur
l’état de l’environnement ; et réhabiliter le site après cessation de l’activité extractive.
Pourtant, après la fermeture de la mine de Syama, le plus ancien site d’extraction aurifère minier du
Mali, des études ont montré que les eaux souterraines avaient été contaminées par les écoulements du
bassin de boue, que l’air avait été pollué par l’extraction et l’assèchement de ce bassin et que les sols
avaient été contaminés par des fuites d’huile et de pétrole.
La question de la pollution de l’air et de l’eau se trouve également au coeur du conflit qui oppose
actuellement les résidents de la région de Sadiola à la société exploitant la mine, la SEMOS. La première
étape d'une enquête menée par la Direction nationale de l’hygiène et de la santé sur la situation sanitaire
et environnementale des communautés affectées par la mine de Sadiola a révélé un nombre
anormalement élevé de maladies pulmonaires et de fausses couches dans les villages autour de la mine.
Depuis mi2005,
la Direction nationale attend que soient débloqués les fonds permettant de conduire la
seconde étape de son enquête et de confirmer ces premiers résultats. Ironiquement, ces fonds ont été
demandés à la SEMOS, qui avait financé la première partie de l’étude; celleci
entrave la poursuite de
l’étude en demandant sans cesse de modifier le protocole de recherche suivi. C’est donc de l’entreprise
exploitante que dépend le pouvoir d’accepter, ou de bloquer, le contrôle de l’impact environnemental et
sanitaire de son exploitation.
Droit à la sécurité de la personne
Comme dans le cas de Morila, le financement de la gendarmerie locale semble être une pratique
courante des entreprises minières au Mali et au Burkina Faso. Pour le ministre des mines bukinabè, les
forces de l’ordre seraient ainsi récompensés pour le surcroît de travail induit par l’afflux massif de
travailleurs migrants, sans que cela oblige le gouvernement à revoir la convention collective des
fonctionnaires.
Cette situation constitue cependant une menace sérieuse pour la sécurité des communautés locales et les
droits des travailleurs, et est de nature à mettre en cause l’impartialité avec laquelle les forces de l’ordre
exercent leurs missions. Ainsi à Morila, suite à un conflit syndical mené en 2005, des anciens grévistes
et leaders syndicaux ont été arrêtés et maintenus en détention, certains pendant plus d’un an, sans motif
réel ni élément probant (cf. encadré).
Les manquements de la gendarmerie et de la justice:
l'exemple des détenus de Bougouni
Le 14 septembre 2005, à 3h50 du matin, deux bus loués par la Somadex et garés à une dizaine de mètres de
la gendarmerie de Sanso brûlent. Cet incident se produit alors qu'un conflit oppose depuis plusieurs mois le
comité syndical et la direction de la Somadex qui exploite la mine de Morila.
Le point d'orgue de ce conflit est une grève de 72h intervenue début juillet 2005. Pendant tout l'été, le
dialogue reste bloqué, en dépit des tentatives de médiation des centrales syndicales et des autorités politiques
et administratives maliennes. 311 des quelque 500 employés refusent de reprendre le travail et les tensions
qui existent entre les grévistes, les non grévistes et la direction gagnent le village mitoyen de Sanso où
résident les travailleurs de la mine.
Dans les heures qui suivent l'incendie, les gendarmes procèdent à 32 interpellations pour complicité
d'incendie volontaire. Tous les inculpés sont des anciens grévistes, qui déclarent tous leur innocence. Une
série d'éléments jettent le trouble sur les motifs de leur arrestation et la conduite de l'enquête:
* les gendarmes qui dormaient à proximité de l'endroit où les bus ont pris feu n'ont rien vu ni rien entendu;
* la piste de l'incendie accidentel n'a pas été explorée alors même que les gendarmes ont déclaré que le
moteur d'un des deux bus était resté allumé;
* une information est ouverte contre X, les inculpés sont donc considérés comme auteurs d'un incendie
volontaire sans coupable principal.
Par ailleurs, les liens entre la gendarmerie et la Somadex sont pour le moins troublants. Dans le cadre du
financement des communautés locales dans lesquelles elle est implantée, Morila S.A (entreprise pour
laquelle la Somadex soustraite
l'extraction du minerai) subventionne les salaires des gendarmes de Sanso.
Et les gendarmes reconnaissent, dans la description contextuelle de leur enquête, qu'ils avaient reçu peu de
temps auparavant une liste d'une trentaine de « meneurs principaux » du mouvement de contestation à
surveiller étroitement. Cette liste leur avait été fournie par la direction des ressources humaines de la
Somadex...
Auditionnés par le juge de paix du tribunal de Bougouni, 23 des 32 inculpés sont mis en liberté provisoire
après un mois et six jours de détention préventive. Selon les neuf autres inculpés, leur maintien en détention
s'expliquent par leur réputation de leaders du mouvement de contestation. Ainsi, Mamadou Sogoba était
chargé de l'affichage des tracts syndicaux; Adama Troaré accueillait chez lui les rencontres du comité
syndical; Karim Guindo est secrétaire administratif du comité syndical mais a déclaré ne pas avoir été
présent à Sanso le jour de l'incendie; Oumar Touré, ancien mineur licencié par l'entreprise, est resté proche
du comité syndical. Ces détenus seront finalement remis en liberté après 14 mois de détention, en novembre
2006.
Sous la pression des organisations de la société civile malienne et de la communauté internationale, les
entreprises adoptent des mesures visant à répondre aux critiques dont elles sont la cible, notamment en
mettant en place des fonds de développement communautaire. Comme nous l’avons vu, ces programmes
sont pourtant loin de constituer une panacée: ils ne sont pas toujours participatifs, ne s'inscrivent pas
dans le long terme et servent trop souvent à camoufler certains manquements des entreprises à leurs
obligations légales. Par ailleurs, ils créent parfois une confusion entre ce qui relève de la responsabilité
des entreprises et ce qui relève de celles de l'Etat. C'est en effet à ce dernier qu'incombe la responsabilité
première de respecter et faire respecter les droits de l'Homme. Les Etats sont ainsi notamment tenus de
contrôler les activités des entreprises pour éviter toute violation des droits de l'Homme et toute
contamination de l'environnement; ils sont également tenus d' « agir (...) au maximum de (leurs)
ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits » économiques,
sociaux et culturels (article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels).
2. Un secteur économique qui n’enrichit pas les Maliens
Les institutions financières internationales, suivies par le gouvernement malien, ont fortement misé sur
la croissance du secteur minier comme source de développement pour le Mali. Pourtant, il s’avère que ce
secteur n’a que peu d’impact sur le développement économique global du pays3 et sur l’amélioration des
conditions de vie de la population. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.
3 En 2004, le secteur minier a ainsi créé 7% de la richesse nationale, soit à peine plus que les secteurs de l’élevage ou de la
pêche. Source : Mali : statistical appendix, IMF country report n°06/89, 2006.
2.1. Un secteur autarcique et tourné vers l’exportation de matières premières
L’or est un produit primaire à faible valeur ajoutée, qui n’irrigue que très peu l’économie nationale. Cette
tendance à l'autarcie est aggravée au Mali par les travers structurels de l’économie: enclavement,
délabrement des infrastructures et sousindustrialisation.
Tout l’or produit au Mali est en effet exporté
vers l’Afrique du sud (à 59,2%) et la Suisse (à 40,8%). Le secteur aurifère n’a ainsi donné naissance à
aucune activité locale de transformation, qui aurait pu être source d’emplois, d’investissements
technologiques, de développement d’infrastructures, ou d’activités pour les fournisseurs. Au Mali, l’or
constitue donc une rente, et non une source de développement industriel.
Par ailleurs, le secteur minier n’est que faiblement créateur d’emplois. Il ne fait travailler que 12 000
personnes, soit à peine un dizième des salariés du secteur formel, tandis que le coton emploie 3,3
millions de personnes.
Le secteur aurifère n’a également que peu d’effet d’entraînement sur les autres secteurs économiques.
D’après l’Assemblée nationale malienne, sur les quelques 690 milliards de francs CFA injectés par le
secteur aurifère dans l’économie malienne entre 1997 et 2005, près de 50% sont revenus à l’Etat via le
Trésor public, 42% aux fournisseurs et 6,5% aux salariés. La part qui revient aux fournisseurs est donc
faible et concentrée dans quelques secteurs : électricité, carburant, lubrifiants, matériel de bureau, etc.
2.2. Un secteur orienté au profit des investisseurs étrangers
Au début des années 1990, la Banque mondiale prône le développement du secteur minier en Afrique
pour doper la croissance du continent. En même temps, elle conclut à l’incapacité des Etats africains de
posséder et gérer cette activité économique qui exige des investissements importants, requiert des
capacités techniques poussées et de bonnes compétences de gestion, et se révèle risquée parce que
volatile. La Banque mondiale prescrit donc de privatiser le secteur et d’attirer les investisseurs privés,
qu’elle juge seuls à même d’en assurer la compétitivité.
Dès lors, les autorités maliennes n’ont pas ménagé leurs efforts pour séduire les investisseurs
internationaux en leur accordant des aides financières4 ou en adoptant des réglementations qui leurs sont
favorables. Les codes miniers de 1991 et 1999 rivalisent d’attractivité, notamment sur le plan fiscal. Le
code de 1991 offre ainsi la gratuité des cinq premières années d’activités sur le sol malien : les
entreprises ne paient ni TVA, ni taxe sur les prestations de services, ni impôt sur les bénéfices. Les
entreprises peuvent également librement transférer leurs bénéfices sur des comptes étrangers. D’après la
Banque mondiale, le Mali est aujourd’hui le mieuxdisant
en Afrique subsaharienne pour la protection
des investisseurs5. Ces exemptions fiscales et les autres privilèges accordés aux entreprises sont pourtant
lourds de conséquences pour le budget de l’Etat mais aussi pour ce développement économique (le
rapatriement des capitaux nuit par exemple au développement du secteur bancaire), voire pour les
conditions de travail et de vie de la population.
Par ses investissements directs, ses prêts et ses garanties de crédits, la Banque mondiale a également
contribué activement à l’implantation d’investisseurs étrangers6. Elle reconnaît cependant aujourd’hui
que les efforts des pays pour attirer les investisseurs étrangers étaient largement vains et que le
développement du secteur minier n’a pas vraiment contribué à la réduction de la pauvreté et au
développement durable. Elle met désormais en tête de ses objectifs officiels de veiller à ce que les
bénéfices de ces industries parviennent bien aux plus pauvres. Cela ne signifie pas pour elle
4 Entre 1992 et 2002, l’Etat a ainsi alloué 123 milliards de francs CFA aux industries extractives au titre du soutien au secteur
privé. Source : Growth Support Project, report n°31388 ML, Banque mondiale, 21 janvier 2005.
5 Country Brief, Banque mondiale, septembre 2006, voir: www.worldbank.org/ml
6 Elle a ainsi investi 108 millions de dollars U.S. dans le secteur minier malien, est devenue actionnaire minoritaire dans les
mines (par l’intermédiaire d’une de ses filiales) a garanti des crédits pour AngloAmerican. Source : An independent review of
World Bank. Support to capacitybuilding
in Africa : the case of Mali, report n°32908, 14 mai 2005
d’augmenter la pression fiscale sur les compagnies privées, et encore moins de confier à l’Etat une
mission de direction de l’activité minière sur son territoire, mais plutôt un « rééquilibrage du système
fiscal minier afin d’inciter les compagnies privées à investir dans des initiatives auprès des
communautés et au niveau régional », initiatives dont on a vu en première partie les limites et les risques
inhérents.
Aujourd’hui, le secteur aurifère malien reste dominé par les investisseurs étrangers : trois géants
internationaux (Anglogold Ashanti, Rangold et IAMgold) trustent toutes les activités d’extraction, tandis
qu’une quinzaine de juniors, la plupart canadiennes, explorent les zones encore en friche à la recherche
de nouveaux gisements. L’extraction de l’or malien est particulièrement profitable pour ces entreprises :
outre qu’elles bénéficient de généreuses exemptions fiscales, l’or malien est le moins cher et le plus
rentable d’Afrique. Parce qu’elles sont à ciel ouvert et que les salaires sont faibles, et bien que le Mali
soit enclavé et affiche des prix de l’électricité exorbitants, les mines maliennes sont très compétitives.
Les comptes mondiaux d’Anglogold Ashanti, opératur à Sadiola et Morila, le prouvent : ses « cash
costs » sont de 220 USD l’once au Mali en 2005, contre 300 en Tanzanie et en Guinée, 330 au Ghana ou
430 dans la mine sudafricaine
de Savika7. Avec un cours de l’or en hausse et des coûts maintenus à de
faibles niveaux, les marges réalisées sur l’or malien ne cessent de croître : 108 USD l’once en 2003, 230
en 2004 et 245 en 20058.
Soulignons pour conclure que malgré les efforts consentis par les autorités maliennes pour attirer les
investisseurs étrangers dans le secteur minier, cela n’a pas contribué à améliorer l’attractivité du Mali
pour les investisseurs d’autres secteurs.
3. Un Etat qui n'exerce qu'imparfaitement ses responsabilités
Comme nous l’avons vu, la privatisation du secteur minier initiée dans les années 1990 a donné la part
belle aux investisseurs privés. Elle a aussi contribué à déstabiliser l’Etat, déjà souvent en position de
faiblesse face au poids économique, et parfois politique, des multinationales. En même temps, l’Etat
continue d’avoir des intérêts, en tant qu’actionnaire, dans le secteur de l’industrie extractive. Il est donc à
la fois percepteur/ contrôleur et actionnaire, régulateur et régulé. En définitive, il se retrouve dans une
position telle qu’il ne veut ou ne peut bien souvent pas exercer son rôle de puissance publique.
3.1 Une position schizophrène
Le code minier de 1991, qui a marqué le tournant libéral dans la politique minière du Mali, réserve à
l’Etat une part minoritaire du capital des sociétés d’exploitation minière9. L’Etat est donc
systématiquement actionnaire minoritaire des mines d’or du pays, au côté des grandes entreprises
internationales. Cette situation place l’Etat dans une position schizophrène : il est percepteur et
régulateur d’une part, actionnaire d’autre part. L’Etat est donc à la fois régulateur et régulé, percepteur et
contribuable, instance de contrôle et acteur économique.
Cette situation est d’autant plus dommageable qu’il existe de forts conflits d’intérêts entre ses différentes
fonctions. Ainsi, tandis que l’Etatpercepteur
a intérêt à maximiser les recettes fiscales donc les taxes
imposées aux entreprises, l’Etat actionnaire a intérêt à maximiser ses profits après impôts, donc à voir
minorer la fiscalité. La durée de vie d’une mine est sans doute le terrain où les intérêts divergents de
l’Etat et des opérateurs économiques s’opposent le plus clairement. La franchise fiscale incite en effet les
7 Annual Report 2005, www.anglogold.com
8 Quatrième revue de l’accord de trois ans au titre de la FRPC, FMI, 29 juin 2006.
9 L’Etat peut posséder jusqu’à 20% du capital des entreprises minières d’exploitation. Il faut souligner que la participation
publique au tour de table des compagnies minières n’est pas pratiquée dans tous les pays (par exemple en Tanzanie). Outre
l'aspect financier, elle a pour avantage d’ouvrir les portes des conseils d’administration aux représentants des ministères de
l’Economie, des Mines et des Domaines de l’Etat.
entreprises à surexploiter les réserves de la mine pendant la période initiale de cinq ans pendant laquelle
elles ne paient aucune taxe. Ainsi, lorsque s'acheva en 2005 sa franchise fiscale, la mine de Morila avait
déjà extrait plus de la moitié des réserves en or, alors que son plan d’extraction initiale prévoyait une
période d’exploitation de 13 ans. Cette « course à l’extraction » est contraire aux intérêts de l’Etat en tant
que gardien de l’intérêt général de la population malienne; celuici
a plutôt intérêt à voir la durée de vie
de la mine se prolonger afin d’obtenir des recettes fiscales sur une plus longue période et de maintenir de
l’emploi et une activité économique pour la population.
En assignant ainsi deux rôles divergents aux mêmes représentants de l’Etat, la réglementation malienne,
élaborée sous la férule des bailleurs de fonds internationaux, contraint le gouvernement à un grand écart
permanent et neutralise sa capacité à défendre les intérêts du peuple malien. Cette dualité a été
officiellement dénoncée dans un rapport de la Direction générale de la Géologie et des Mines de 2004 :
« la Commission constate que le contrôle effectué sur les sociétés par ces structures (les Ministères) a
toujours été fait dans le cadre de l’Etat partenaire au détriment de l’Etat puissance publique ». Dans des
cas de conflit du travail ou de pollution environnementale, l’Etat malien a ainsi pris le parti des
entreprises ou ignoré les violations dont elles étaient responsables.
Par exemple, lorsqu'en 20024,
les salariés de Morila SA se sont opposés aux dirigeants de l’entreprise
pour obtenir le versement de primes de rendement impayées, le gouvernement s'est abstenu de prendre
parti. Selon l’article 265 de la convention collective, les salariés doivent recevoir des primes de
rendement lorsque les objectifs d’exploitation sont dépassés ; le montant de ces primes est corrélé à la
quantité d’unités produites audelà
de l’objectif. Tandis que les salariés demandaient une stricte
application de la convention collective, la direction souhaitait allouer les primes de façon discrétionnaire.
Une longue bataille juridique s’en est suivie : de l’inspecteur du travail de Sikasso au conseil d’arbitrage
national, tous ont donné raison aux salariés ; mais la direction a fait appel de ces décisions. Pendant ce
temps, le gouvernement s’est abstenu de prendre position. Au final, les salariés n’ont obtenu que 500
millions de francs CFA de primes sur les 17 milliards qu’ils demandaient. Le versement de cette prime,
qui constitue une obligation légale, a donc été laissée à la libre appréciation des opérateurs privés.
Autre exemple : l’absence totale de réaction des autorités maliennes face à l’impact environnemental
désastreux de la mine de Syama, alors même que de nombreux documents indiquent que tant ces
autorités que la Banque mondiale étaient informés de ces problèmes depuis au moins 10 ans10.
Percepteur, actionnaire et régulateurcontrôleur,
l’Etat malien a trois casquettes. Les contradictions qui
en résultent sont exploitées par les compagnies minières pressées de maximiser leurs profits.
3.2. L’Etat en position de faiblesse
Un percepteur bien peu contraignant
Au Mali, les entreprises minières ont obtenu au début des années 1990 d’importants avantages fiscaux,
qu’elles s’efforcent depuis de conserver. Elles n’hésitent par ailleurs pas à payer leurs taxes avec retard
ou à n’en payer qu’une partie.
Aux termes du code minier de 1991, les entreprises minières bénéficient d’une exemption de toute
fiscalité pendant les cinq premières années d’exploitation de la mine. En 1999, le gouvernement a adopté
un nouveau code minier, qui a réduit la franchise fiscale de 5 à 3 ans. Aucune entreprise déjà installée
n’a choisi de « migrer » vers ce nouveau code11 et même les mines nouvellement ouvertes ont bénéficié
10 Voir : Un héritage entaché : analyse sociale et environnementale de la mine d’or de Syama au Mali, Oxfam America, février
2004.
11 Ce code contient pourtant également des dispositions favorables aux investisseurs, comme l'absence de surtaxe pour les
surprofits.
de dispositions favorables dérogeant aux dispositions du nouveau code.
Ainsi, la mine de Loulo, ouverte en 2005, a bénéficié d’une exemption fiscale sur les bénéfices de cinq
ans et non de trois ans seulement. Cette disposition constitue un avantage et une garantie considérables
pour les entreprises qui l’exploitent. Rangold, propriétaire à 40% de la mine de Morila et à 80% de celle
de Loulo a ainsi bénéficié en 2005 d’une ristourne fiscale de 11,5 millions USD, réalisant ainsi un profit
net de 40 millions USD. Si la réglementation fiscale ordinaire s’était appliquée, le profit n’aurait été que
de 28,5 millions USD, et le cours de l’action aurait perdu 0,18 USD.
C’est parce que les entreprises minières ont pu choisir de conserver le code de 1991 ou obtenir des
dérogations importantes au nouveau code de 1999 que le Mali n’a pas pu profiter du pic historique de
production de 2002 pour alimenter ses recettes fiscales. La pression des entreprises pour préserver leur
« exception fiscale » se manifeste aujourd’hui une nouvelle fois. En effet, le gouvernement malien,
soucieux d’améliorer ses recettes fiscales, et pressé par les bailleurs de fonds d’optimiser ses
recouvrements fiscaux, envisage aujourd’hui d’éliminer les exemptions fiscales ad hoc dont bénéficient
certains secteurs ou agents économiques. Cependant, les exemptions concédées au secteur minier ne
seraient pas concernées, ce qui constitue un indice supplémentaire de la position privilégiée qu’on su
conquérir les investisseurs dans ce secteur.
Autre difficulté pour le Trésor public : les entreprises minières n’hésitent pas à ne payer qu’une partie
des sommes dues à l’Etat. Ainsi, un conflit fiscal a opposé au début des années 2000 l’administration
malienne aux compagnies minières. En décembre 2003, un audit public conclut que les mines de Sadiola
et Yatela doivent environ 15,6 millions USD à l’Etat au titre des taxes sur les bénéfices impayées et les
pénalités afférentes pour la période 20002.
Dans son rapport annuel 2005, IAMGold, un des
actionnaires de ces mines, note « que toutes les taxes avaient été convenablement payées et que le
rapport d’audit était sans fondement ». Le bras de fer dure jusqu’à fin 2005. Pour solde de tout compte,
l’Etat n’obtient qu’un tiers des sommes réclamées… Un nouvel audit public est aujourd’hui en cours sur
les exercices 2003 et 2004.
Un Etat actionnaire pris en otage
Actionnaire minoritaire des entreprises d’exploitation minières, l’Etat actionnaire perçoit des dividendes.
Ceuxci
s’élèveraient à 64 milliards de francs CFA sur la période 19972005,
soit à peine 10% de la
contribution du secteur aurifère à l’économie malienne. Ces sommes sont modestes au regard des profits
réalisés par les entreprises minières au Mali. Pourtant, comme avec les impôts, ces entreprises se
révèlent de bien mauvais payeurs. En raison du conflit fiscal qui les oppose à l’Etat, dont il a déjà été
question, les entreprises prennent en effet des mesures de rétorsion, qu’elles qualifient de mesures
conservatoires, en refusant de payer les dividendes qu’elles doivent à l’Etat. Ainsi, fin 2004, l’Etat
n’avait reçu que 4,6 milliards de francs CFA des 25 milliards qui lui été dus en dividendes. Cette
situation s’est présentée à nouveau en 2005. En somme, les actionnaires majoritaires prennent l’Etat
actionnaire en otage pour le maintenir sous pression et le « punir » de ses activités menées au titre de ses
fonctions préceptrices.
Si les dividendes concernent des sommes modestes, il est important de souligner ces retards et défauts de
paiement qui témoignent de l’état d’esprit des entreprises minières qui n’hésitent pas à mettre un peu
plus en danger le fragile édifice budgétaire du pays. Pour faire face à des fins de mois difficiles, le
gouvernement n’a en effet d’autre choix que de solliciter l’aide des bailleurs de fonds pour des appuis
budgétaires d’urgence, ce qui fragilise encore sa position face aux institutions financières
internationales. En échange du soutien financier accordé en 2005, le FMI a ainsi réclamé que l’Etat
réduise de près de 13% les dépenses publiques et qu’il abandonne le projet de subventionner la taxe
intérieure sur les produits pétroliers, qui aurait permis de limiter le renchérissement des biens et services.
Un régulateur et un contrôleur impuissant
Comme nous l’avons vu à travers plusieurs exemples de violations des obligations fiscales, sociales et
environnementales commises par les entreprises minières, l’Etat malien n’a pas toujours la volonté ou la
capacité de faire respecter sa législation, ni d’adopter une législation et des politiques favorables aux
intérêts à long terme de sa population. La nonapplication
du code minier de 1999 est à cet égard
particulièrement symptomatique.
Mais l’Etat n’a pas non plus les moyens de gérer et contrôler le secteur minier faute de disposer des
moyens financiers et humains et des outils techniques nécessaires. Il ne peut ainsi contrôler les activités
des entreprises et leur conformité aux normes existantes. Il en va ainsi de la production d’or raffiné
d’origine malienne. Une fois cédé à la société suisse Hargor Heureus SA, l’or malien disparaît des radars
publics ; l’Etat n’est associé à aucun stade du circuit d’affinage des lingots. Or l’affineur ne paye
l’intégralité de la valeur de l’or qu’une fois ce dernier raffiné…
Autre exemple : un des trois seuls appareils d’analyse du taux de cyanure – une pollution courante de
l’industrie extractive – fonctionnant en Afrique se trouve au Mali. Mais cette technologie, qui coûte près
de 30 millions de francs CFA pièce, appartient au laboratoire d’analyse de l’entreprise Morila SA. Celuici
communique ses données aux fonctionnaires chargés de contrôler l’impact environnemental de la
mine de Morila, sans que ces derniers n'aient les moyens de les vérifier.
L’Etat n’est pas non plus en mesure d’avoir une vue d’ensemble du secteur minier malien et de son
potentiel. Il ne dispose pas de données fiables et actualisées sur l’état des réserves, des gisements
découverts et des mines en exploitation. En septembre 2006, le projet Sysmin, financé par l’Union
européenne, a remis à l’administration minière 4 cartes géologiques et 21 cartes géochimiques de fouilles
topographiques réalisées dans plusieurs régions du pays. Pour réaliser ces cartes, 6 ans de travail et 600
millions de francs CFA ont été nécessaires. Une fortune serait donc à réunir pour explorer les 673 sites
minéraux recensés sur le territoire et dont un grand nombre serait probablement rentable. De telles
lacunes empêchent l’Etat malien de valoriser ses ressources minières, mais aussi de contrôler ceux qui
les explorent et ceux qui les exploitent.
Soulignons enfin qu’audelà
du manque de moyens financiers, ce sont surtout les moyens humains qui
font défaut au Mali pour contrôler le secteur minier. Pour les géologues maliens, un emploi dans
l’administration publique minière n’est guère attrayante. Les écarts de rémunération entre les secteurs
public et privé sont en effet considérables : en 5 ans, un géologue gagne dans une compagnie privée
l’équivalent de 25 ans de salaires dans la fonction publique.
Conclusions et recommandations
Quinze ans après le début du boom de l'exploitation aurifère au Mali, la population attend encore de
pouvoir réellement bénéficier de ses retombées, que ce soit dans l'industrialisation, en ce qui concerne le
marché de l'emploi, l’état des finances publiques, ou le niveau des dépenses sociales. Le Mali a offert
aux investisseurs internationaux un environnement propice à leur enrichissement mais qui ne garantit ni
le respect des droits fondamentaux, ni l'amélioration à long terme des conditions de vie de la population.
Les entreprises maximisent leur profit, avec la complicité d'un Etat qui ne peut ou ne veut contrôler leurs
activités et les obliger à respecter leurs obligations en matière de droits de l'Homme et de protection de
l'environnement. Au niveau local, les entreprises achètent la paix sociale à moindre coût auprès de
communautés avec lesquelles elles restent à peine quelques décennies.
Pourtant, tant l'Etat malien que les entreprises et les bailleurs de fonds ont des obligations en matière de
respect, protection et promotion des droits de l'Homme. L'Etat malien, qui a ratifié le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en 1974, est notamment tenu d' « agir, tant par son
effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique
et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein
exercice des droits » économiques, sociaux et culturels reconnus dans le Pacte, notamment le droit à la
santé, le droit à l'éducation, les droits du travail, etc. (article 2). Il est le premier responsable et le premier
garant du respect de ces droits, qu'il doit respecter et faire respecter par les autres acteurs, notamment les
entreprises, y compris étrangères. Les entreprises ont elles aussi des obligations claires de respecter,
protéger et promouvoir les droits de l'Homme, conformément aux principes du droit national et
international.
La FIDH recommande donc:
A l’Etat malien :
de
respecter ses obligations en matière de respect, protection et promotion des droits de l'Homme, et
notamment des droits économiques, sociaux et culturel.
d'assumer
pleinement ses fonctions de puissance publique notamment pour faire respecter sa
réglementation (code minier, législation sociale, règles fiscales) et de contrôler les activités des
entreprises.
d'assurer
l'intégration d'obligations sociales et environnementales lors de la négociation et de la mise
en oeuvre d'accords d'investissement et dans les révisions dont le code minier fera l’objet à l’avenir,
ainsi que les moyens de leur respect.
de
faciliter l'adoption d'une convention collective offrant une protection étendue des droits des
travailleurs du secteur minier.
Aux entreprises minières présentes au Mali
de remplir leurs obligations de respecter, protéger et promouvoir les droits de l'Homme, telles que ces
obligations découlent, notamment, des Principes directeurs de l’OCDE à l’égard des entreprises
multinationales, et du droit international des droits de l’homme;
de
s’abstenir de solliciter des exemptions aux obligations que fixe la législation malienne, notamment
en matière fiscale ; aux termes des Principes directeurs de l’OCDE sur les entreprises
multinationales, ces entreprises doivent « s'abstenir de rechercher ou d’accepter des exemptions non
prévues dans le dispositif législatif ou réglementaire concernant l’environnement, la santé, la
sécurité, le travail, la fiscalité, les incitations financières ou d’autres domaines » ;
de
se soumettre pleinement à la législation malienne, notamment en respectant la législation sociale,
en payant en temps voulu les taxes et dividendes dus à l'Etat, et en respectant les dispositions
environnementales du code minier.
de
ne développer des projets volontaires d'aide aux communautés locales que pour autant que ceuxci
sont fondés sur une participation large et représentative des populations concernées, ancrés dans le
long terme et respectueux des prérogatives de l'Etat.
de
veiller à ce que les infrastructures, notamment sanitaires, construites à proximité de la mine
bénéficient non seulement aux employés de la mine mais soient également accessibles et abordables
pour les autres membres de la communauté.
Aux institutions financières internationales et aux autres bailleurs de fonds
de
ne pas inciter l'Etat malien à établir des dispositions en faveur des investissements étrangers
contrevenant à ses obligations internationales en matière de respect, protection et promotion des
droits de l'Homme.
d'adopter
des réglements visant la protection des droits humains et de l'environnement et de ne pas
participer au tour de table ou fournir des garanties financières aux entreprises dont les projets
d'exploitation et de réhabilitation après fermeture de la mine ne respectent pas les exigences sociales
et environnementales adoptées.
d'aider
l'Etat malien à améliorer sa connaissance de ses propres ressources minières et à contrôler
l'activité des entreprises (impact environnemental, production annuelle, paiement des taxes, etc.) en
lui permettant de renforcer ses capacités humaines et techniques.
de
ne pas pousser au développement de projets de développement local des entreprises comme solution
pour la réduction de la pauvreté sans garantie quant au caractère durable, participatif et respectueux
des prérogatives de l'Etat de ces projets.